II - UTILISATION
DIGESTIVE ET METABOLIQUE DES ALIMENTS
II .1- Rappel anatomique du tube digestif des ruminants
L’appareil
digestif des ruminants est caractérisé
par un estomac très différencié à
plusieurs cavités comprenant quatre parties nettement distinctes extérieurement.
Ce sont
successivement le rumen (ou panse), le réseau (ou réticulum) et le feuillet (ou
omasum).Ces trois premières représentent
les pré-estomacs et sont placées avant l’estomac appelé la caillette .Toutes
les parties de l’estomac des ruminants dérivent d’une ébauche simple et il faut
les considérer comme le résultat d’une différenciation spécifique et d’une adaptation à la nature particulière
de l’alimentation. Les ruminants sont des herbivores qui peuvent digérer les
parois des tissus végétaux non lignifiés dont la cellulose est le constituant
principal.
II.1.1- le rumen ou la panse, c’est le plus volumineux, il renferme de 70 à 75 % du contenu du tube digestif et représente de 50 à
60 % de son volume. Son volume et celui
du réseau sont d’environ 18 litres .
II.1.2- le réseau (ou réticulum ) qui
doit son nom à sa muqueuse réticulée et parsemée de papilles absorbantes , joue
un rôle central dans la circulation des particules .Les particules qui
franchissent l’orifice réticulo-omasal doivent avoir une taille moyenne
inférieure ou égale à 1 mm. De ce fait ,
les aliments solides sont donc séquestrés tant qu’ils n’ont pas atteints cette
taille minimale .( Pearce 1967 , Ulyatt 1983 , Reid 1984 , Ulyatt et al., 1985 ) cités par Sutherland, 1986 ; Thivend et al., 1985.
II.1.3- le feuillet (ou omasum) : il
doit son nom de feuillet au fait qu’il est presque entièrement occupé par des
lames parallèles, de hauteurs inégales, disposées dans le sens du transit alimentaire.
D’un volume égal à 0,5 l ,
c’est un organe ovoïde chez le mouton à
l’intérieur duquel on trouve de très
nombreuses lames recouvertes d’un épithélium kératinisé possédant également des
papilles. Il communique en aval avec la caillette par un orifice large et dilatable
II.1.4- La caillette est le
seul réservoir sécrétoire de l’estomac des ruminants .Sa cavité est tapissée
par une muqueuse glandulaire, analogue à celle des monogastriques toujours
recouverte d’une couche de mucus .Les fonctions digestives de la caillette des
ruminants sont analogues à celles de l’estomac des mammifères mono-gastriques
.Elle a un volume inférieur à 2
litres .L’ensemble de ces réservoirs ont une capacité de
12 à 20 litres
chez le mouton.
II.1.5- L’intestin
Il est divisé
en deux parties :
·
L’intestin grêle est très long. Il comprend
le duodénum (0,6 à 1,2 m )
avec son anse duodénale qui reçoit les sécrétions biliaires et
pancréatiques et l’ensemble
jéjunum-iléon (17,5 à 34,0 m )
(Nickel et al. 1987).Sa structure est
identique à celle de l’être humain .Les mécanismes de la digestion et de
l’absorption dans l’intestin grêle sont les mêmes que chez les mono-gastriques.
·
Le gros intestin comprend
le cæcum, le colon sigmoïde, le colon spiral, le colon flottant et le rectum
.Le gros intestin ne secrète pas de sucs digestifs.
II .2-
DIGESTION DANS LE RUMEN – RESEAU
La digestion
est réalisée grâce à des enzymes cellulolytiques que les micro-organismes du rumen, du réseau et du gros intestin peuvent sécréter. La
présence de la dégradation microbienne dans les pré-estomacs avant la digestion
(chimique) par les sécrétions digestives dans la caillette modifie fortement la digestion et l’utilisation des aliments par les
ruminants par rapport aux mono-gastriques.
La digestion
chez les ruminants met en jeu des phénomènes mécaniques, des phénomènes
fermentaires ou encore biologiques en relation avec la présence d’une flore (au
niveau du rumen - réseau) et enfin des sécrétions enzymatiques en relation avec
les sécrétions digestives (dans la caillette et l’intestin grêle comme chez les
mono-gastriques).
L’ingestion
des aliments par les poly-gastriques (qui dure environ 8 heures par jour avec
une mastication rapide au cours de la quelle les aliments s’entassent dans le rumen)
est suivie par la rumination.
La rumination
est un état physiologique défini comme un phénomène cyclique qui se déroule en
quatre étapes :
Ce diagramme
montre les flux de la matière sèche à travers le rumen du mouton alimenté avec
1020g de foin haché de luzerne dans un intervalle de 24 heures
a- La régurgitation du bol
alimentaire comportant deux phases :
* Une phase
d’aspiration œsophagienne au cours de
laquelle le réseau se contracte ce qui amène le contenu du rumen au niveau du
cardia. Le cardia s’ouvre et l’animal inspire fortement créant une dépression
intra-thoracique. Cette dernière permet au contenu du rumen de remonter dans l’œsophage.
* Une phase
d’expulsion vers la bouche, due à une onde antipéristaltique accompagnée
d’une expiration profonde.
b- La
déglutition de la partie liquide servant de support.
c- La mastication
mérycique au cours de laquelle les mouvements sont lents et la
salivation sont abondantes.
d- La phase de repos.
Il existe 6 à
8 périodes de rumination par jour, en
moyenne de 40 à 50 minutes chacune.
La rumination
est indispensable car elle fragmente les aliments et facilite l’attaque par les
micro-organismes du rumen. La complexité anatomique de ces réservoirs est
associée à la présence d’une population dense et stable de micro-organismes qui
vivent en symbiose avec l’hôte et qui jouent un rôle dans la digestion et la
nutrition de l’animal. La mise en place et le maintien de cette population
microbienne sont dus au fait qu’il existe une séparation physique entre la zone de sécrétion acide (estomac )
et le reste des préestomacs où la
digestion microbienne peut avoir lieu en permanence (Jarrige 1995 b).
II .2.1- Le contenu du milieu ruminal
Le contenu du
milieu ruminal est relativement constant, il se caractérise par :
-
une concentration élevée en
eau 85 à 90 % ;
-
une température constante de 39
à 40° C ;
-
un potentiel d’oxydo-réduction
variant entre de – 250 à - 400 mV (milieu
fortement anaérorobie) ;
-
un pH généralement compris entre 6 et 7 qui est tamponné par
l’apport régulier de grandes quantités de bicarbonates et de phosphates
contenus dans la salive ;
-
une pression osmotique constante
proche de celle du sang ;
-
un apport régulier de nutriments
et d’eau fournis à la fois par l’ingestion des aliments et par la
rumination ;
-
une élimination continue des
produits du métabolisme , soit par absorption
à travers la paroi du rumen ( acides gras volatils , ammoniac ) , soit par passage dans la partie postérieure du tube digestif (résidus alimentaires,
cellules microbiennes ), soit par éructation ( méthane ,gaz carbonique ) ;
-
une relative constance de
l’atmosphère gazeuse située au niveau du sac dorsal (gaz carbonique : 60
–70 % , méthane : 30 – 40 % ) ;
-
un brassage permanent assuré par les contractions périodiques de la
paroi et par la rumination.
Le rumen est
donc un milieu particulièrement bien adapté
au développement d’une population microbienne anaérobie dont les
principaux constituants sont les bactéries et les protozoaires. (Thivend et al. 1985, ITEB-INRAP 1984 ;
Russel 1986, Preston et al. 1987).
II.2.1.1- Les protozoaires.
Ce sont
principalement des ciliés dont la taille
varie de 20 à 200µ mais on observe aussi des flagellés en nombre réduit. Le
nombre total des protozoaires se situe aux environs de 100.000 à 1000000 (ITEB-INRAP, 1984) ou 2 à 5000000 par ml de jus de rumen
(Thivend et al. 1985). Les
protozoaires ciliés sont capables de transformer un grand nombre de
constituants alimentaires et bactériens en métabolites et en composés
cellulaires qui seront ensuite utilisés par l’animal hôte .Ils appartient à
deux groupes, les Holotriches et les Entodiniomorphes.
Ces
protozoaires sont capables pour la plupart d’entre eux de dégrader la cellulose, les hémicelluloses, les pectines
pour les entodiniomorphes et les sucres solubles pour les Holotriches. Les
ciliés sont également protéolytiques, ils utilisent aussi les acides aminés
(Coleman 1980 cité par Thivend et al.1985) mais leurs besoins azotés sont en
grande partie couverts par l’ingestion des bactéries .Les protozoaires sont
généralement libres dans le liquide du rumen mais certains se fixent également
aux particules alimentaires (Beauchop et al. 1976 cités par Thivend et al. 1985).
Ils sont très sensibles aux conditions régnant dans le rumen et aux
caractéristiques de la ration. Avec des rations riches en glucides solubles ou
en amidon, ils peuvent représenter au maximum 50 % de la biomasse du rumen, et ils régressent
avec les rations très pauvres en constituants solubles. Ils peuvent disparaître
avec des rations créant des pH bas du rumen (< 5,5) aliments concentrés
distribués à volonté et / ou séjournant pendant un temps très court dans le
rumen (fourrages broyés).
II.2.1.2- Les bactéries
La population
bactérienne du rumen est comprise entre 8 et 10 milliards cellules par ml de
contenu ruminal. Elle constitue environ 50 % de la biomasse microbienne et
représente la catégorie des micro-organismes la plus complexe et la plus
importante. Elle est composée essentiellement de bactéries anaérobies strictes
non sporulées et elle est caractérisée par sa très grande diversité .En 1959 on
en dénombrait 39 genres et 63 espèces et actuellement plus de 200 espèces
bactériennes ont été isolées du rumen mais seulement une trentaine d’entre
elles peuvent être considérées comme des bactéries authentiques du rumen alors
que les autres sont apportées par les
aliments et sont présentes d’une manière transitoire (Russel et al., 1981cités par Thivend et al.,1985 ; Russell
1986 ).
Les bactéries
du rumen sont généralement classées en fonction des substrats qu’elles sont
capables de fermenter ou de dégrader; on peut citer les bactéries cellulolytiques, pectinolytiques, amylolytiques,
uréolytiques …
Les fonctions
de plusieurs espèces se recouvrent largement ce qui contribue à la stabilité de
l’ecosystème. Cependant certaines d’entre elles sont plus spécialisées telle
que Anaerovibrio lipolytica qui n’hydrolyse que les lipides et ne fermente que
le glycérol ou bien les Veillonella qui
utilisent principalement le lactate
(Hungate 1966 cité par Jarrige 1995a), Vibrio succinogenes ne tire son énergie que de la réduction du
fumarate en succinate (Thivend et al.
1985).
De nombreuses
espèces sont protéolytiques, plusieurs d’entre elles utilisent ou dégradent les
acides aminés ou les peptides. (Russell 1986. Preston et al. 1987)
Dans le rumen,
les bactéries occupent trois biotopes distincts : elles peuvent être
libres dans le liquide ruminal, ou attachées soit à la paroi interne du rumen,
soit aux particules alimentaires alors que d’autres espèces vivent liées à la
surface des protozoaires environ 1 à10%
de la flore totale (Imai et Ogimoto,
1978 cités par Jarrige et al. 1995b.)
Les bactéries
attachées aux particules alimentaires représentent environ la moitié de la
population bactérienne selon Minato et al.1966
cités par Thivend et al. (1985), elles concernent principalement celles qui
hydrolysent les polymères pariétaux. Les bactéries adhérentes à la paroi du
rumen appelée flore épimurale sont caractérisées par leur forte activité
protéolytique (Dinsdale et al. 1980 cités par Thivend et al. 1985) et uréolytique
(Mc Cowan et
al, 1980 cités par Thivend et al. 1985 ; Wallace 1986).
Ses bactéries
ont un rôle primordial parmi lesquels, on citera :
·
L’hydrolyse de l’urée qui
diffuse à travers la paroi du rumen.
·
La dégradation des cellules
épithéliales fortement kératinisées
provenant de la desquamation de la muqueuse du rumen.
·
L’élimination de
l’oxygène qui diffuse à travers la paroi
du rumen depuis la voie sanguine([ Dinsdale et al., 1980 , Mc Cowan et al.,
1980] cités par Thivend et al.,
1985).Ces bactéries sont aussi très riches en phosphatase alcaline ( Fay
et al.,1979 cités par Thivend et al., 1985).
Lorsqu’un
animal consomme un régime alimentaire uniforme, il s’établit dans son rumen,
après une période d’adaptation, une population
microbienne de composition relativement constante, qu’on peut appeler un faciès microbien. L’état d’équilibre
est assez fragile et conditionne l’efficacité de la digestion.
II.2.1.3- Autres micro-organismes
II.2.1.3.1- Les champignons
L’existence
des champignons anaérobies dans le rumen a été démontrée par Orpin en 1977 et
Bauchop 1979, Joblin 1981 cités par Thivend et al. 1985. Bauchop a indiqué que ces
champignons étaient liés à la fraction
solide du contenu du rumen et que l’importance de leur effectif
dépendait de la présence de fourrages grossiers dans la ration .Ils existent
chez les animaux nourris avec des aliments succulents ou qui pâturent une herbe jeune (Jouany, 1981 et Czerkawski.,
1984). La plupart de ces micro-organismes apportés par
l’aliment seraient simplement en transit dans le rumen Certains Phycomycètes
anaérobies stricts joueraient un rôle non négligeable dans la dégradation des
polyosides pariétaux (Bauchop 1981 et
Orpin 1984 cités par Thivend et al.1985 ; Jarrige et al, 1995b) et
probablement dans la dégradation du méthane (Preston et al. 1987).
II.2.1.3.2- Mycoplasmes, virus et bactériophages
Ils sont
présents dans le rumen mais leurs rôles restent
à élucider surtout pour les mycoplasmes .Selon Thivend et al.
1985, les bactériophages tempérés et virulents peuvent jouer un rôle
dans l’écologie du rumen .A la suite d’une infection par un phage virulent, une espèce bactérienne
peut devenir sous dominante Son action pourra cependant être compensée par la
prolifération d’une espèce non sensible, capable d’occuper la même niche
écologique
II.2.2- La dégradation des glucides
Grâce à un
extraordinaire équipement enzymatique, la population microbienne du rumen et du
réseau hydrolyse tous les glucides en
oses (hexoses ou pentoses). Les glucides solubles sont hydrolysés de manière
très rapide et en totalité (amidon des céréales est dégradé à 90 – 95 % dans le rumen par une amylase bactérienne).
La population microbienne dégrade aussi les glucides des parois (cellulose,
hémicelluloses et pectines) en oses qui sont ensuite fermentés en anaérobiose
selon des voies bien connues (voir schéma du métabolisme des glucides pariétaux
dans le rumen). Cette dégradation par des cellulases que seules les bactéries
sont capables de synthétiser, est lente et partielle (de 80 à 90 % pour les
fractions pariétales pour un aliment très peu lignifié comme l’herbe jeune,
à 40 50 % pour une plante riche en
lignine comme la paille). Cette hydrolyse libère du cellobiose (2 ß glucose), du glucose et des pentoses. La
population microbienne du rumen –réseau tire de la fermentation des oses
provenant de l’hydrolyse des glucides pariétaux, l’énergie (ATP) et le carbone
qui lui sont nécessaires pour son entretien, sa croissance et sa prolifération.
Les produits de cette fermentation sont un mélange d’acides organiques à courte
chaîne, dits acides gras volatils, essentiellement acétique, propionique et
butyrique ,et des gaz (gaz carbonique et méthane ).Les produits intermédiaires
(acides succiniques et lactique ) sont généralement utilisés par les microbes
au fur et à mesure de leur formation .Le ruminant trouve la majeure partie de
l’énergie dont il a besoin dans les acides gras volatils (AGV ) issus de la
dégradation des glucides .Ils peuvent lui fournir de 65 à 75 % de l’énergie
absorbée .
Avec les régimes habituels à base de fourrage
utilisés par les ruminants, les proportions relatives des AGV sont les
suivantes (en % molécules)
- Acide acétique (C 2) 60 à 70
%
- Acide propionique (C3) 15
à 20 %
-
Acide butyrique (C4) 10
à 15 %
- Autres AGV 2 à
5 %
Les gaz formés
au cours des processus fermentaires, CO2 et CH4 représentent
des pertes énergétiques pour les ruminants et sont rejetés par éructation.
La production de
ces gaz dépend de l’intensité des fermentations microbiennes ; elle
augmente ainsi avec la digestibilité de la matière organique de la ration et diminue en fonction des
facteurs qui limitent le temps de séjour des aliments dans le rumen (comme le broyage,
l’agglomération, l’action des agents chimiques ou biologiques). La diminution
du temps de séjour, modifie le temps de contact enzyme-substrat, accroît la
surface pariétale accessible aux enzymes
et réduit le nombre et la force des glucides –lignine qui limitent
l’action des micro-organismes (Czerkawski 1984 ; Thivend et al. 1985 ; Jarrige et al. 1995b).
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